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Muir Wall Yosemite
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22 juin 2016

Jour2: Enfin on grimpe

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Jour 2

Rédigé par Fab. 

Réveil à l'aube. Il est déjà 5h15. Je n’ai pas trop mal au coude mais la journée de hissage m’a bien fatigué. Chapi me dit qu’on a fait le plus dur et ça me rassure car je ne pourrai pas tenir plusieurs jours à ce rythme. C'est quand même marrant de se retrouver là après toutes les aventures qu’on a vécues avant même de commencer la voie. Je me dis que j’ai vraiment de la chance d’être là et qu’il faut en profiter au maximum. Cette première nuit sur portaledge s'est plutôt bien passée mais il fait déjà chaud et une longue journée nous attend. Nous devons atteindre Grey Ledge avant la nuit pour pouvoir bénéficier d'un autre bon bivouac. En effet, dans la face d'El Capitan rares sont les relais où l’on peut placer deux portaledges et quatre sacs de hissages côte à côte. Il faut plus de quatre points d'attache sur une largeur d'au moins cinq mètres. Sinon il faut trouver un moyen de les pendre les uns au-dessus des autres, ce qui est assez compliqué à installer et oblige à monter et descendre avec nos échelles dès qu'on a oublié un truc dans le sac. En plus, la paroi doit être plutôt verticale et plane, sinon le portaledge risque d’être instable. Même si on dort encordé, la perspective de faire une chute de cinq mètres dans le vide au milieu de la nuit parce que qu'on a voulu changer de position et que cela a fait basculer le portaledge, n'aide pas vraiment à s'endormir sereinement. Enfin vu que le portaledge n'est pendu qu'à un point d'attache, il faut toujours faire attention à maintenir le centre de gravité en son, et ainsi bien penser à prévenir son compagnon quand on veut passer de l'autre côté ou sortir. Du coup, autant vous dire qu'un bivouac à côté d'une vire, c'est vraiment du luxe. On n'a pas besoin d'être tout le temps pendu dans le vide, et du coup, cela facilite grandement l’accès des sacs, les préparatifs du dîner et du couchage, etc. On peut même pisser plus ou moins discrètement dans le vide :) Bref, tout ça motive vraiment à atteindre les "bons" relais-bivouac dans les temps. Et il se trouve que nous allons avoir le confort de passer les cinq prochaines nuits dans des bivouacs avec vire ! Notre objectif de la journée est donc de gravir les quatre longueurs jusqu'à Grey Ledge et d'équiper la longueur suivante avant la nuit pour pouvoir avoir une chance d'atteindre le bon bivouac suivant le lendemain soir.

On propose à Liz et Nick, le couple d'américains qui ont dormi avec nous, de passer devant. A priori, ils seront plus rapides que nous. Je remonte notre corde fixe après eux et commence à hisser les sacs. Aujourd'hui, j'ai décidé de mieux gérer mon effort et mon alimentation afin de pouvoir résister pendant plusieurs jours. Le hissage des sacs est un vrai calvaire et heureusement que Chapi vient m'aider. Je profite du fait de devoir attendre que les américains gravissent la longueur devant nous, pour bien réfléchir à la meilleure façon d'organiser un relais, ce qui me sera bien utile pour les 20 suivants... Effectivement, une fois arrivé au relais après 2 ou 3 heures d'escalade pour chaque longueur, celui qui grimpe en tête doit dans l'ordre :

  • Se vacher avec ses daisy Chains (des sangles cousues)
  • éventuellement consolider le relais et relier les points avec des mousquetons à vis et des sangles.
  • hisser le premier puis le deuxième sac et les fixer à au moins deux points du relais chacun.
  • avaler et fixer la corde du second pour qu'il puisse commencer à remonter et déséquiper la longueur.
  • ranger les cordes pour ne pas qu’elles se coincent dans des fissures.
  • et préparer le rack de matos pour que le second puisse repartir le plus vite possible.

Un relais mal organisé peut vite devenir un vrai foutoir et faire perdre beaucoup de temps, voir même être cause d'erreur de sécurité. Mais avec deux personnes, deux sacs et deux cordes, c'est un vrai petit casse-tête. Par exemple, une fois un sac pendu sur un mousqueton, tout ce qui est au-dessus ou derrière ce mousqueton devient presque bloqué au relais tant que le sac n'est pas reparti. Essayez donc de soulever 50kg d'une main avec les pieds dans le vide pour décliper votre vache qui se trouve derrière le mousqueton du sac... le tout en faisant bien attention que les 170m de cordes, fixées à au moins six points du relais, ne s'emmêlent pas.

Pendant que Sergio et Tony nous rejoignent, Nick termine sa longueur et je peux commencer à grimper en tête la longueur de C1. Ca y est ! Je rentre dans le vif du sujet. C'est un vrai plaisir de gravir mètre par mètre la longueur en essayant à chaque fois de trouver le type et la taille de l'équipement (coinceur, friend, crochet, piton, etc.) qui tiendra le mieux. Mais planter des pitons est fastidieux, il faut porter un marteau et des pitons en plus du matos habituel. Et surtout ça me fait mal au coude. J'essaye de gagner du temps en plaçant des Aliens dans les trous à pitons et en ne perdant pas de temps à tester la solidité des points avant de monter dessus. Du coup j'avance assez vite, mais un Alien finit par lâcher et je fais une chute de 5 mètres. Petit rappel à ordre dès la première longueur ! Curieusement j’ai beaucoup moins peur de chuter en tête que lors de ma dernière ascension. Bref, j’essaye de pas de ne pas me démonter et je suis content de réussir par passer en « clean climbing » (sans piton). Il y à 18 ans, on avait planté au minimum cinq pitons par longueur ! J’ai vraiment l’impression d’avoir grimpé vite mais ça m’a quand même pris presque deux heures.

Au relais, je rejoins Liz et Nick sur une bonne vire. Ils sont supers sympa et j'en profite pour continuer à discuter avec eux. Nick est un fort grimpeur et était même un mutant il y a une dizaine d’années. Il a gravit Washington Column en 1h29. Pour la petite histoire avec Sergio il y a 18 ans on avait mis presque 3 jours. Il a aussi enchaîné Le Nose et Le Half Dome dans une même journée. Bref, en arrivant je suis surpris que Nick n’ait pas déjà commencé à grimper la longueur suivante. En fait, suite à une mauvaise manip’ il a laissé tomber son sac de couchage. Comme quoi ça arrive même aux meilleurs. Comme dit Sergio : « tout ce qui n’est pas attaché finit en bas ! ». Et c’est vrai qu’on doit toujours faire attention à tout mousquetonner, même son téléphone, le réchaud, les tasses, les gants, etc. Bref, avec un duvet en moins, Nick et Liz ont dû pas mal hésiter à continuer ou à redescendre.Du coup ils semblent gênés de nous faire de nouveau attendre et promettent de grimper plus vite la longueur suivante ; en effet on ne les reverra plus par la suite.

Comme le terrain n'est pas encore surplombant, les sacs frottent contre la paroi et les hisser est de nouveau fastidieux. Malgré son décolleté, j'ai même du mal à faire la conversation à Liz tellement je dois forcer pour monter le sac chaque 30cm. Il fait chaud, je suis vite fatigué et j'appréhende un peu pour les jours suivants. C'est le premier Big Wall de Liz et elle aussi a du mal. Chapi me rejoint très vite et comme nous grimpons en réversible, c'est à son tour d'aller en tête. Il enchaîne la longueur suivante en C1 qui est composée de deux fissures et qui se termine par un relais pendu dans le vide. Au début, il a un peu du mal à poser les coinceurs et surtout à faire confiance aux micro-coinceurs, mais il finit par progressivement trouver ses marques. Je sens que nous allons former une bonne cordée. On essaye de rattraper le temps perdu à attendre et j'essaye d'enchainer le plus vite possible vers la longueur suivante, mais elle me prend beaucoup de temps. Chaque pas est éprouvant car il faut aller chercher une fissure au fond d'une cheminée peu commode. Tout se coince, les cordes, les étriers, les chaussures, si bien que je perds la radio et les semelles de mes chaussures neuves commencent à se décoller. Je suis quand même content d'arriver au bivouac de Grey Ledge qui a l'air confortable. Il est 17h et Chapi aura le temps d'équiper la longueur suivante. C'est un mixte d'escalade et d'artif. La transition entre les deux. le met dans de mauvaises postures, mais il termine la longueur avant la nuit. Nick et Liz sont déjà presque deux longueurs au-dessus. Nous laissons notre corde fixe à Sergio et Tony pour qu'ils nous rejoignent sur la vire avant la nuit. Ils semblent eux aussi éprouvés par le hissage des sacs. Ils ont dû attendre encore plus longtemps que nous avant de pouvoir commencer à grimper. Mais Sergio trouvent qu’ils ne sont pas assez rapides et ils ne se sentent pas de continuer comme ça. On essaye de leur remonter le moral en leur disant que c'est le deuxième jour de suite où on atteint notre objectif. On se met vite au lit dans le portaledge après le diner mais sans mettre la tente cette fois. On dort à la belle étoile au-dessus du vide et le ciel est magnifique. On devine la voie lactée, la clarté des étoiles est intense. Dans la nuit, on entend Liz et Nick qui continuent à grimper à la frontale pour atteindre un bivouac situé 4 longueurs au-dessus de nous. C'est marrant ils n'ont même pas l'air stressés. J'ai toujours mal au coude, je suis bien fatigué et j'ai peur qu'on manque d'eau mais je commence à penser qu'on va quand même y arriver.

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